L’euthanasie, ce droit aujourd’hui incontesté du maître sur son animal, lui confère un grand pouvoir. Mais si le maître a ce pouvoir de décision, l’acte en lui-même, de par la loi, est confié au vétérinaire qui devient le bras armé du maître, héritant ainsi d’une partie de ce pouvoir. Pour les fans de super héros qui auront la référence, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.
Nous avons choisi le métier de vétérinaire par Amour des animaux, et par amour de ces animaux, nous devons parfois mettre un terme à leur vie. Alors comment concilier ces deux aspects de notre métier qui semblent de prime abord opposés ? Nous aimons par essence prendre soin des animaux, et prendre soin c’est prendre en charge la douleur de l’animal. Lorsqu’il n’y a plus de solution thérapeutique pour un animal, lorsque la médecine se trouve impuissante face à certaines maladies ou l’inéluctable vieillissement, lorsqu’il n’y aura plus jamais de « bien-être » au sens premier du terme, l’euthanasie est le dernier recours contre la douleur. Cette continuité de soin ultime est donnée avec compassion et avec la conviction intime d’être reçue comme un soulagement par notre petit patient, mais également par son maître. Ce soulagement du maître agit comme un baume qui, s’il est insuffisant pour faire disparaitre la douleur de la perte affective, permet cependant d’atténuer celle-ci. Nous accompagnons au mieux les maitres de nos patients sur ce chemin difficile.
Cette vision convenue de l’euthanasie ne doit pas faire oublier d’autres situations certainement moins consensuelles mais néanmoins responsables d’une détresse tout aussi intense pour les maîtres ou l’animal et que nous vivons parfois au cours de notre carrière, l’euthanasie d’un animal qui ne le demande pas, l’euthanasie pour le bien de son maître d’un animal qui ne présente pas de souffrance physique. Chez Vet’Ouest, le maître compte autant que son compagnon et nous prenons soin des deux, car certains cas de détresse humaine fort heureusement rares, nécessitent de s’interroger plus profondément sur le bien-fondé d’une décision d’euthanasie. Le vétérinaire est le seul à pouvoir réaliser une euthanasie hors situation d’urgence qui nécessiterait d’abréger les souffrances d’un animal en dehors de la présence d’un vétérinaire (article 11.1 de la convention européenne pour la protection des animaux de compagnie). Cet acte reste encadré par la loi même pour le vétérinaire. En effet, l’article R-655.1 du code pénal punit le fait de donner la mort à un animal domestique sans nécessité. A ce sujet, il n’est pas inutile de rappeler que la même convention européenne interdit la mise à mort par noyade ou asphyxie, à bon entendeur pour les portées de chatons…
Alors quels sont les critères qui permettent au vétérinaire en conscience de donner la mort ? Le vétérinaire doit prendre en compte tous les besoins de l’animal, et lorsque ceux-ci ne peuvent être satisfaits ou respectés et qu’il n’y a aucune alternative, le vétérinaire est en droit d’accepter l’euthanasie. Un programme européen, le Wellfare Council, a précisé les besoins des animaux de rentes et par extension ceux-ci sont appliqués aux animaux de compagnie. Tout animal domestique a droit au bien être qui repose sur la satisfaction de 5 catégories de besoins, être à l’abri de la faim et de la soif, être à l’abri de l’inconfort, être à l’abri de la douleur, être libre d’exprimer un comportement normal, être à l’abri de la peur et de la souffrance psychologique. Ainsi, on peut s’interroger sur le bien-être psychologique d’un chien ou un chat « hors d’âge », qui ne trouve pas de nouvelle famille après le décès ou le placement en maison de retraite de son maître ou sa maitresse, ou sur les pathologies comportementales lourdes rebelles aux traitements ou thérapies, et génératrice de stress et de peur chez un chien. Le cas d’un chien dangereux pour lequel toutes les solutions de placement sans danger pour l’Homme ont échoué, même s’il relève d’une autre législation implique aussi la responsabilité du vétérinaire. Toutes ces situations sont autant de cas où notre discernement nous amène à accepter une euthanasie, voire de la proposer lorsque la détresse des maîtres rend trop difficile la décision.
Ainsi, si la décision ne nous appartient pas, comme je l’ai précisé plus haut nous restons le bras armé du maître, et si contractuellement parlant rien ne s’oppose à ce geste définitif, notre conscience ne serait pas en repos si nous n’adhérions pleinement à la décision des maîtres, si nous n’étions pas certains qu’il n’existe aucune alternative. Cette condition est indispensable pour que cet acte de charité envers l’animal mais également envers ses maîtres soit réalisé dans l’apaisement et l’union des sentiments autour de lui. Ce moment est le sien, son dernier… Souvent les maîtres d’un animal en fin de vie me demandent s’ils seront capables de savoir lorsque ce sera « le moment ». C’est une question légitime mais je les rassure en leur disant qu’ils le sauront avant moi car leur animal leur « dira ». En effet, malgré sa compassion et sa connaissance, le vétérinaire garde un œil clinique. Le maître connait mieux son animal et plus son niveau de communication avec lui sera élevé, plus il sera capable de comprendre l’attente de son animal. C’est donc en alliant les sentiments et les données médicales que les maîtres et le vétérinaire pourront alors en leur âme et conscience offrir ce dernier geste d’Amour à leur animal et patient.
D. Retière